A 48 ans, Pierre Siewe, chef cuisinier et consultant culinaire, propose un univers culinaire lui ressemblant où l’Afrique tient une place subtile. Conscient qu’il ne sait cuisiner les plats du continent africain, il oeuvre à sa manière pour faire connaître les trésors alimentaires de l’Afrique. Entre cuisine traditionnelle française, épices africaines et produits exotiques, le chef Pierre Siewe se dessine.
« Je suis honnête. Je ne sais pas faire la cuisine africaine » reconnaît Pierre Siewe, chef cuisinier indépendant. Ekié*, direz-vous à la lecture de ces mots.
D’origine camerounaise et dans le milieu de la cuisine depuis 22 ans, il propose « sa cuisine ». Une cuisine dont la base part de la cuisine traditionnelle française avec une liaison africaine. Cette approche s’est faite au fur et à mesure pour ce fils de chef cuisinier.
Arrivé en bingue* à 22 ans pour des études de décoration d’intérieur, il a souvent obtenu des stages dans des hôtels, des restaurants. Voila sa trajectoire professionnelle repensée. Et c’est ainsi que le consultant culinaire a bifurqué vers la cuisine. Mais toujours avec l’idée d’exercer sa « fibre créatrice ».
« Je ne vais pas mettre de Kub Maggi »
Créer? Ça, il sait faire ooohhh. Mais ne lui demandez pas de vous faire une sauce gombo. « Je ne pourrais pas exactement reproduire cette sauce de manière traditionnelle. Je vais utiliser le gombo mais je vais la ramener à une sauce moderne ». Pour les vrai-vrais*, cette sauce gombo risque de manquer de ceci ou de cela. Mais pour le chef, ce sont des choix culinaires pour arriver à un équilibre gustatif.
« Je n’ai pas les codes pour cuisiner vraiment comme on cuisine chez nous. Je vais toujours vouloir alléger, le rendre moins salé. Je ne vais pas mettre de Kub Maggi, éclaircit Pierre Siewe. C’est dans ce sens que je dis que je ne sais pas faire la cuisine africaine ».
Formé par la cuisine traditionnelle française, il a énormément appris du mouvement de la bistronomie en exerçant dans différents établissements. Ce n’est que lorsqu’il est à son compte, que sa cuisine a commencé à changer doucement. « Cela s’est fait spontanément. Je me suis dit qu’il était intéressant de travailler certains produits de chez nous, explique le consultant culinaire. Je ne me suis pas formaté à travailler dans ce sens-là ». Lorsqu’il a eu sa propre affaire, le restaurant Le Garde Temps, vendu en mai 2023, Pierre Siewe est passé à « une bistronomie avec une touche africaine ». Et ça fait six ans qu’elle est présente dans sa cuisine.
Une sauce d’arachides, pas vraiment sauce d’arachides?
Une cuisine bistronomique avec des épices et des produits qui viennent de toute l’Afrique. Même s’il ne se range pas dans la lignée de ceux qui revisitent la cuisine traditionnelle africaine. Cela lui est déjà arrivé de travailler deux, trois plats comme le met de pistache. Un gâteau de graines de courge qui est un plat typique traditionnel de fête au Cameroun. « D’ailleurs, ça a été un gros succès au restaurant. C’est un plat que j’adore et que ma mère me fait à chaque fois que je vais au Cameroun » confie-t-il.
La sauce d’arachides est un plat qu’il a également déjà travaillé. Mais d’avance, il garantit que ça ne sera pas la même sauce d’arachides « avec les traceurs gustatifs qu’on peut retrouver au pays. La mienne sera plus fluide. Tout va être calculé par rapport aux portions. La quantité de pâte d’arachide va être mouillée avec un bouillon. Après, je mixerais le tout afin que cela soit plus aérien. Je vais probablement rajouter une épice pour donner une autre touche ». Une chose est sûre, celui qui a marché dans les traces de son père ne va pas cuisiner sa sauce avec l’huile d’arachide qui stagne au-dessus. Barré*! Même s’il reconnaît que le gras est bon. « Car je ne veux pas que ça soit une sauce qui envoie du gras ».
Le massah des épices
Sa force est « l’utilisation des épices d’Afrique noire mais également celles du Maghreb ».
Par ses voyages, il ramène des produits exotiques dans ses plats comme le fonio, le sorgho. Sa cuisine est une « bistronomie teintée de produits et d’épices. Je vais les chiner un peu partout en Afrique » développe le massah* des épices.
Par exemple, l’attieké de Côte d’Ivoire, il l’accompagne avec l’épaule d’agneau braisée de sept heures avec du cumin. « Au Maroc, ils la font plutôt avec le jarret de boeuf. Je me suis inspiré de tous ces plats pour faire ma création ». Comme la blanquette du chef Pierre Siewe, un plat signature. Il remplace le jus de citron et la farine par « de la poudre de baobab. Du coup, l’acidité de la blanquette est faite par la poudre de baobab et liée grâce à celle-ci également, explique-t-il. Voilà, la construction de ma cuisine ». Où il allie produits africains et occidentaux avec des techniques culinaires occidentales. Ce cheminement, c’est quelque chose*. Il a dû apprendre à doser les épices. « Aujourd’hui, c’est naturellement que je le fais. En tout cas, avec beaucoup plus de facilité » avance le roi des épices. Cette cuisine empreint de saveurs africaines, le chef Pierre Siewe compte bien la poursuivre dans son nouvel établissement.